lundi 21 avril 2014

Marges, trottoirs et stationnement sur rue: l'espace piétonnier

Dans le but de construire des environnements à échelle humaine accueillante pour les piétons, une des premières choses dont on parle souvent est de construire des rues étroites. Mais si les courtes distances sont préférables dans le but de favoriser la proximité, ce n'est pas la seule chose qui compte.

Voici un exemple de deux rues étroites, une à Québec, l'autre à Bruxelles, en Belgique:
Rue étroite de Québec
Rue étroite de Bruxelles
Ces deux rues sont très étroites, mais est-ce que ces images vous donnent le goût d'aller marcher à ces endroits? Pour moi, pas tellement, ça semble être assez mauvais pour les piétons, et je n'aimerais pas m'y tenir. Elles donnent l'impression d'être très exigües. Alors, où est le problème? Ne sont-elles pas pourtant des rues étroites comme on en réclame souvent?

Alors, que faut-il pour rendre un endroit confortable pour les piétons? Et si on se trompait complètement et que ce qu'il fallait, c'est un espacement entre les bâtiments très importants? Allons voir des exemples, après tout, ce ne sont pas les rues larges qui manquent en Amérique du Nord.

Rue résidentielle de Phoenix en Arizona
Avenue commerciale dans l'Iowa: très, très large, mais terrible pour la marche
OK, au moins on n'avait pas tort sur toute la ligne, c'est encore pire que Québec et que Bruxelles. Alors c'est quoi le problème?

Je crois que la largeur est effectivement un facteur important, mais pas la largeur de la rue en entier, plutôt la largeur de l'espace piétonnier.

Dans les deux premiers cas, l'espace piétonnier est excessivement étroit, limité à deux petits trottoirs d'un peu plus d'un mètre de bord et d'autre de la rue, pris entre les murs des bâtiments et les voitures stationnées. Ces voitures ont une grande importance, plusieurs urbanistes nord-américains aiment bien les voitures stationnées pour avoir une barrière protégeant les piétons des voitures en mouvement, mais une barrière, ça va dans les deux sens. Si les voitures stationnées sont une barrière pour les voitures, elles le sont tout autant pour les piétons. Elles indiquent à ces derniers de rester sur leur trottoir, que de l'autre côté, c'est un espace réservé aux automobiles. Elles sont un rappel permanent que les automobiles se sont accaparées toute la rue, elles sont une frontière entre "l'espace automobile" et "l'espace piétonnier". D'ailleurs, à plusieurs endroits, les cyclistes sont pris entre les deux et vont tendre vers le trottoir à moins que des indications existent clairement pour indiquer que la rue leur est disponible (par exemple, avec une chaussée désignée).

Les rues des premiers exemples étaient probablement tout à fait confortables pour les piétons avant la venue des automobiles. Mais depuis, 75% de l'espace a été accordé sans partage à celles-ci, transformant des rues plaisantes à la marche en deux petits corridors de rien du tout, pris entre des murs de maisons et un mur de voitures.

De quoi aurait l'air ces rues s'il en était été autrement, si les voitures n'avaient pas pris possession de la rue grâce au stationnement sur rue? Probablement un peu à ça:
Rue étroite de Québec dans la partie touristique: pas de trottoir, tout l'espace est disponible aux piétons et aux voitures
Ou à ça:
Rue de Takayam au Japon

Rue de Tokyo
Dans le cas du Japon, le corridor piétonnier est très large car les piétons ne sont pas limités au seul trottoir et qu'il n'y a aucune voiture stationnée en permanence pour indiquer aux piétons que cet espace ne leur appartient pas. Alors même si les bâtiments sont encore plus près ici que dans les deux premiers cas, c'est encore un espace très confortable pour la marche car les piétons ont accès à un espace beaucoup plus large. Aucune partie de la rue ne leur est interdite.

Un autre aspect à considérer est ce qui est du côté extérieur du trottoir. Tout comme la présence de stationnements de bord et d'autre de la rue sont perçus par les automobilistes comme une extension de leur corridor, les incitant à conduire plus vite, la présence de cours avant, de véranda et d'espace semi-privé est bénéfique aux piétons, qui voient ces endroits comme faisant partie d'un espace piétonnier, où la présence humaine est la bienvenue.

Dans les deux premiers cas, il n'y a pas de telle zone semi-privée. Le trottoir donne directement sur le mur des résidences et la proximité entre les piétons et l'espace privé à l'intérieur des domiciles fait en sorte que les occupants gardent leurs rideaux en permanence fermés, car qui veut voir les passants jeter un oeil sur ce qu'ils font dans le confort de leurs maisons? Alors les gens s'assurent de protéger leur vie privée en transformant la façade de leurs maisons, pourtant pourvues de fenêtres et de portes, en murs aveugles.

Maintenant, voici un exemple différent, avec une marge à l'avant des bâtiments:
Plateau-Mont-Royal, Montréal
Le cas du Plateau Mont-Royal est intéressant par la présence (réglementaire) de marges entre les bâtiments et les trottoirs. Afin de sauver de l'espace, ceux qui ont construit les bâtiments ont mis les escaliers menant aux appartements des étages supérieurs à l'extérieur des bâtiments, ce qui est caractéristique des bâtiments de Montréal (et qui a été copié dans quelques villes québécoises par la sutie). Cette marge protège également la vie privée des gens sans avoir besoin de fermer les rideaux des fenêtres et permet la construction de vérandas et de balcons À noter également la largeur des trottoirs, qui atteignent 3 mètres à leur point le plus large, ils sont en fait tellement larges qu'on a planté des arbres dessus.

Pour les piétons, cette marge avant, même si elle est une propriété privée, reste accueillante car elle favorise l'activité humaine. Il peut y avoir des interactions entre des individus dans ces aires et les passants sur la rue. Ceci contribue à faire des rues un milieu de vie plutôt qu'uniquement un lieu de transit. À noter aussi que dans les zones commerciales, les vitrines montrant des commerces ou des restaurant contribuent au même effet en montrant un passant que l'intérieur des bâtiments leur est ouvert.

Bon, et voici une rue plus récente de Montréal, qui est une évolution du modèle du Plateau, perdant beaucoup de son attrait.
Lasalle, beaucoup des mêmes éléments que le Plateau, mais sans ses attraits
Il y a des multiplexes de 2-3 étages de bord et d'autre de la rue, comme dans le Plateau, le stationnement sur rue est très fréquent, il y a aussi des escaliers extérieurs et des balcons. Pourtant, cette rue n'est vraiment pas accueillante pour les piétons. Ceci est dû à quelques facteurs:
1- Les trottoirs sont significativement plus étroits que sur le Plateau, le corridor piéton en est donc rétréci
2- Une part importante de la marge avant des bâtiments est accaparée par des entrées asphaltées menant à des garages, ce qui ne sont pas une zone tampon favorable aux piétons
3- L'espace automobile de la rue a été élargi significativement
4- Il n'y a pas d'arbre

Donc, pour résumer, si on veut construire des rues étroites dans des quartiers denses, le stationnement sur rue n'est vraiment pas suggéré, mais des rues partagées le sont. S'il y a beaucoup d'espace entre les bâtiments se faisant face, alors on peut tolérer le stationnement sur rue, tant et aussi longtemps que les corridors piétons sont suffisamment larges. Ajouter une zone tampon entre les trottoirs et les façades des bâtiments n'est pas une mauvaise chose non plus. Et des arbres, tout est toujours mieux pour les piétons avec des arbres.

Parce que j'aime visualiser ce dont je parle avec des schémas, voici de quoi ont l'air certaines des rues que j'ai mentionnées. En noir, les bâtiments, en rouge, l'espace réservé aux automobiles, en jaune, les zones tampons plaisantes pour les piétons et en vert, les corridors piétons.

Pour construire un quartier favorable à la marche, il faut maximiser l'espace vert. Ensuite, on peut avoir beaucoup d'espace jaune, mais il faut réduire l'espace rouge le plus possible.

Ceci révèle aussi un problème avec le modèle typique de banlieue avec des entrées asphaltées et des garages en face. Le modèle typique avec une maison et un terrain très large n'a pas de problème majeur... bon, la densité est très faible et il n'y a fréquemment rien à distance de marche, mais autrement l'espace piétonnier n'est pas nécessairement mauvais. Mais si on densifie ce modèle en construisant des maisons et des terrains moins larges, on a un petit problème:

À mesure qu'on densifie, on perd des espaces jaunes, soit les cours avant, remplacés par des espaces rouges, soit les stationnements asphaltés menant aux garages. Donc à mesure qu'on densifie dans ce modèle, on rend le milieu de moins en moins plaisant pour les piétons. C'est probablement pourquoi les Nouveaux Urbanistes veulent repousser les garages et les stationnements hors rue sur des allées arrière. Mais d'autres alternatives sont possibles, par exemple en réduisant la taille des stationnements et en les rendant moins différents du reste de la cour avant, ou en retirant ces stationnements des terrains pour avoir des stationnements collectifs concentrés à un endroit sur la rue.

Aucun commentaire:

Publier un commentaire